Récemment, l’économie de guerre du Soudan a commencé à tourner autour d’une seule et unique ressource : l’or. Pour les Forces de soutien rapide (RSF), contrôler les mines et les routes de contrebande ne signifie pas seulement des profits, mais aussi la survie. Pourtant, l’histoire qui se cache derrière ne parle pas seulement d’or ou d’armes, elle révèle comment cette économie de l’ombre commence à se retourner contre le seul pays qui pensait pouvoir contrôler les deux camps.

Les Forces de soutien rapide utilisent les exportations d’or comme principale source de financement, leur assurant un accès constant au carburant, aux armes et aux munitions. Si une partie de cet or est écoulée par des circuits officiels aux Émirats arabes unis, une quantité importante est sortie clandestinement du Soudan via le Tchad, la République centrafricaine, et directement vers des acheteurs en Asie, en Russie et dans le Golfe. Cela permet aux RSF de maintenir leurs opérations en toute indépendance du système bancaire central soudanais et de la surveillance internationale, créant de fait une économie de guerre parallèle.

Les Forces de soutien rapide mènent une guerre civile prolongée contre le gouvernement soudanais et ne peuvent donc pas compter sur les institutions étatiques pour leur financement, leur logistique ou leur protection. En revanche, elles contrôlent une grande partie des mines d’or du pays, faisant de l’or la ressource la plus accessible et la plus échangeable pour alimenter leur campagne. Le gouvernement, quant à lui, est soutenu par plusieurs puissances étrangères, dont la Russie, l’Iran, la Corée du Nord et l’Égypte.

Cela laisse les RSF isolées sur la scène internationale, sous le coup de lourdes sanctions pour leur rôle dans les campagnes génocidaires au Darfour et ailleurs. Leur dépendance à l’or n’est donc pas un simple choix stratégique, mais une nécessité vitale pour continuer la guerre.

Pour déplacer cet or, le groupe contourne totalement le système financier formel. L’or est acheminé par voie terrestre et aérienne, à l’aide de contractants privés et de réseaux de messagerie. Des cargaisons non identifiées ont été repérées dans des raffineries au Mali et aux Émirats arabes unis, une partie de cet or finissant par être intégrée aux marchés internationaux via la Russie.

En échange, les RSF reçoivent des drones, des armes légères et du carburant. Ces flux échappent entièrement au système bancaire et sont conçus pour éviter toute détection, ce qui donne au groupe une viabilité à long terme.

Concrètement, la guerre des RSF est financée par l’or, ce qui crée un dilemme pour la Russie. Parce que les rebelles disposent d’un flux de financement stable, le gouvernement soudanais est contraint d’essayer de couper leur accès à cette ressource. Or la Russie, qui souhaite entretenir des relations avec les deux camps, se retrouve désormais coincée entre les deux.

Tandis que Moscou fournit des armes et des renseignements au gouvernement soudanais, des réseaux liés au groupe Wagner continuent d’armer les Forces de soutien rapide et de faciliter leur commerce illicite d’or contre armes.

L’objectif n’est pas la fidélité, mais l’influence. En soutenant les deux camps, la Russie s’assure que le vainqueur lui sera redevable. Cette dette pourrait être utilisée pour maintenir une présence navale à Port-Soudan, un point stratégique clé pour projeter son influence sur la mer Rouge et à travers le Sahel. Cette stratégie d’équilibre était intentionnelle, mais elle devient de plus en plus coûteuse.

La frappe du mois dernier contre la base russe à Port-Soudan a changé la donne. Les Forces de soutien rapide ont nié toute responsabilité, mais des sources gouvernementales soudanaises les accusent directement. Quoi qu’il en soit, l’attaque a mis en lumière la fragilité de la stratégie russe. Un double soutien peut offrir un levier à court terme, mais il génère aussi du ressentiment. La Russie n’est plus perçue comme un partenaire neutre. Cela affaiblit sa position auprès des deux camps et met en péril la viabilité à long terme de sa présence navale.


L’armée régulière soudanaise pourrait bientôt exiger de Moscou qu’elle cesse d’aider les rebelles, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de partenaires.

La Russie est donc face à un dilemme : continuer à jouer sur les deux tableaux et risquer d’être exclue par le camp vainqueur, ou choisir un favori au risque de perdre toute influence sur l’autre. Une troisième option, plus dangereuse encore, serait que les deux camps finissent par considérer la Russie comme un médiateur peu fiable. Dans ce cas, ni l’un ni l’autre ne chercherait une coopération plus étroite, et l’accès de la Russie aux ports soudanais, aux ressources minières et à son influence régionale pourrait s’effondrer totalement.

En somme, le double jeu de la Russie au Soudan atteint ses limites. En soutenant à la fois l’État et les forces rebelles, Moscou espérait garantir son accès aux infrastructures stratégiques quel que soit le vainqueur. Mais l’or n’est pas une monnaie neutre : il alimente le conflit, prolonge la guerre, et expose la Russie à des représailles des deux camps. Si Moscou persiste à soutenir les deux parties du conflit, elle pourrait finir par les perdre toutes les deux.

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